Géographie sensible: Les graphittis en Seine-Saint-Denis

Regard sur un art bien vivant et vivifiant

PANTIN

La Seine-Saint Denis interpelle singulièrement. Objet libre, les graphittis nous embarquent sur ce territoire.

UN TERROIR
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En ce moment je chine les graphittis lors de mes balades. La Seine-Saint-Denis est un terroir de ce street art avec une création vivante et une terre disponible par endroit (friches, squatt, chantiers,…). Il faut cette disponibilité pour donner tout le sens d'un terroir.

LA PERLE
RARE -----

J’ai repéré deux lieux de production : le long du canal de l’Ourcq et le quartier des puces à Saint Ouen. C’est là que je cherche ces images urbaines sans me laisser perturber par les graphittis sans intérêt. Ils sont bien visibles dans le paysage, ils sont aussi précaires (art éphèmère), clandestins (car illégaux) et fantomatiques (l’artiste que l’on ne voit pas ou que l’on aperçoit enfoncé dans son weat à capuche). Dans cet univers mystérieux, je suis à l’affut de la perle rare , celle qui me fera penser à Jean-Michel Basquiat et celle qui racontera une histoire (personnelle ou sociétale).

L’ANCIEN
BÂTIMENT DES DOUANES -----

C'est un mardi de septembre et il fait encore chaud. La luminosité est exceptionnelle. Une visite de l’ancien bâtiment des douanes est organisé pendant la pause méridienne par le comité départemental du tourisme. Je m’inscris. Ce bâtiment immense (de 23 000 m2) est un symbole du patrimoine industriel en Seine-Saint-Denis (architecture béton des années 30) posé au bord du canal de l’Ourcq à Pantin. On y stockait des marchandises (destinées à alimenter Paris) qui arrivaient par le canal jusqu'au début des années 2000. C’était aussi un squatt depuis plusieurs années avant que le nouvel acquéreur mettent cette année une alarme, avant même d’entamer sa réhabilitation qui débutera d’ici la fin de l’année (projet qui annonce la mutation urbaine et sociale du quartier). Cet été, le bâtiment a changé d’allure, avec des graphittis spectaculaires sur les façades, œuvres d’artistes prisés et d’activistes de l’ombre. Ceux là, je les connais par cœur pour les regarder régulièrement. Mais, je vais pouvoir aller sur les balcons et les regarder dans le détail.

LA VISITE -----

Le bâtiment est encerclé par des panneaux de tôle, le rendant inaccessible. La guide nous amène vers une petite porte, à l’arrière du bâtiment. Elle est fermée avec un antivol pour vélo ou moto. Elle nous fait patienter le temps d’aller éteindre l’alarme. On entre dans un recoin du bâtiment, envahi par les herbes et les débris de verre. Notre petit groupe est entassé ici, entre la tôle et en contrebas d’un muret (un quai ou les marchandises étaient déchargées). Elle nous demande de prendre l’escalier en colimaçon (structure métallique rouillée) juste à gauche et de monter au premier étage. On arrive au rez de chaussée du bâtiment, la pièce est vide, poussiéreuse et immense, plutôt sombre avec des murs en béton gris souris. Dans cet atmosphère, il faut ajouter les graphittis qui inondent l’espace. Ce décor se répète sur ces 6 étages du bâtiment. Je suis cœur du terroir. Je quitte le groupe avec l’accord du guide et choisis de faire une visite libre. Je suis dans un musée, un vrai, il y a des œuvres partout sur les murs, sur les piliers, sur les fenêtres. Les artistes se sont donnés rendez vous et ont composé avec l’architecture et les vitres cassées. Je découvre une production riche, à l’intérieur et à l’extérieur, par la quantité, la qualité et par les styles variés. Je monte, je descends, je remonte, je trébuche sur une bombe au sol, je sors par les balcons, je rentre, je passe de l'aile gauche du bâtiment à l'aile droite, … Le temps passe vite ; c’est déjà l’heure. Je demande à la guide s’ils ont prévu de conserver des graphittis dans le cadre de la rénovation. Elle m’explique qu'un vidéaste est chargé de filmer les lieux afin de garder la mémoire mais que ces tags ne font pas partis du projet. Ce serait un non sens de sanctuariser cet art, mais ici et maintenant, ça parait difficile d'imaginer des murs blancs et sans âmes. Et pourtant, ils ne résisteront pas aux logiques des grands groupes, ce terroir là va disparaitre...
Il reste l'espoir que cette création si riche se déplace ailleurs.