Géographie sensible: Les algues en Indonésie

SUMBAWA & NUSA LEMBOGAN

Des usines indonésiennes sont spécialisées dans la transformation des algues. Il y a là une économie industrielle et pourtant les filières du ramassage et des cultures restent artisanales. Métiers difficiles, méthodes manuelles, ici, on est totalement dépendant du milieu naturel.

HU'U - SUMBAWA

Les algues ; mauvaises herbes, gluantes,
étranges et parfois toxiques. Après quelques jours ici, je déplace mon regard et vois un autre objet; utile, esthétique. On les appelle "rambut laut"; ce qui signifie en traduction littérale "cheveux de mer".

BALADE -----

Il est 17h, il fera nuit dans une heure, la marée est en train de monter. Je me balade sur la plage de Hu'u à Sumbawa.

LA CABANE ------

"Mister", crie une petite voix (c’est comme cela que l’on appelle les touristes ici ; sans faire la distinction entre les hommes et les femmes - ça surprend au départ et ensuite ça amuse vraiment - on finit par perdre nous aussi le sens et l’utilise de la même manière). Je me retourne, je regarde en direction d'un petit campement installé le long de la plage. J’aperçois, en contre jour, dans l’entre bâillement d'une porte une main qui me fait signe d’approcher. Une femme est assise sur un lit surélevé, à mi hauteur entre le sol et le plafond, les jambes croisées, elle tient un bébé emmitouflé dans un sarong (dans un joli batik fleuri). Elle vit dans cette petite cabane, fabriquée avec des matériaux récupérés (tissus, cartons, bâches, taules). Bien que l’intérieur paraisse minuscule (moins de 5 m2) cet espace de vie est extrêmement bien organisé. En face de la porte, les vêtements sont rangés et délicatement pliés sur une étagère (surtout des vêtements de bébé), en dessous, les ustensiles de cuisine sont accrochés sur le mur avec des ficelles en fibre de coco, à gauche, un coin cuisine avec des plaques de gaz, une bassine et une bonbonne d’eau et à droite, un rideau est tiré en dessous du lit où l’on aperçoit du matériel de pêche. L'habitat est petit et précaire mais l'aménagement est pensé pour durer, cela ne fait aucun doute. Je recule d'un pas, troublée de regarder de si près ce carré d'intimité.

COMPLICITE -----

Ibou est une jeune femme au teint clair et aux traits fins, je ressens tout de suite une complicité, certainement parce que l’on a le même âge et qu’à priori on est différente. Elle me présente fièrement sa petite fille et me parle de sa vie ici. Elle est originaire avec son mari de Bima et ils se sont installés ici pour ramasser les algues dans le lagon, juste en face. Ça fait maintenant 2 ans qu’ils sont ici, ils travaillent tous les jours, et n’ont pas encore eu le temps de retourner à Bima depuis la naissance de la petite il y a 5 mois. Son mari est un grand ramasseur d'algues, il est l'un des rares à ne pas ramasser dans le lagon (qui produit peu) mais au delà de la barrière de corail. Il a une pirogue et plonge tous les jours, parfois à plus de 10 mètres, pour arracher dans les fonds les algues qui prolifèrent.

On arrête nos bavardages quand un vendeur ambulant arrive avec sa moto surchargée de vêtements au milieu du campement. Elle suit les femmes qui vont faire leur shopping. Je lui dis à demain et continue ma balade.

LEURS CORPS ------

Bientôt quelques nuages arrivent, la luminosité baisse mais rien ne peut perturber les ramasseurs d'algues. La marée monte vite et les vas et viens n'arrêtent pas; je me demande d'ailleurs comment ils vont réussir à ramener sur la plage tous ces sacs plein à craquer posés au milieu du lagon. Je croise le mari de Ibou, il rentre avec quatre ramasseurs, leur barque est bourrée d’algues. Eux aussi, ils semblent en retard; ils sont en train de les transporter avec un filet qui permet d’en mettre deux fois plus que dans un sac, ce qui est aussi deux fois plus lourd et c’est pourquoi il le porte en binôme (principe du palanquin). Ces ramasseurs ont tous la même morphologie, ils me font penser à des marathoniens kenyans : musclés, petits et fins. Je regarde leur corps affûtés, leurs muscles bronzés brillent au soleil, leur veine ressortent et je mesure en regardant leur condition physique à quel point ce métier est exigent et difficile.

UN TAPIS ------

Une semaine plus tard, on part explorer la route à l’est du campement, celle qui est en mauvais état. Dix minutes plus tard, on tombe sur un village ; à l’entrée, on s’arrête net devant un tapis noir ; les algues sont en train de sécher sur l'artère principale. Un homme s’approche et nous dit que l’on peut rouler dessus, on voit d’ailleurs une trace dénonçant les passages antérieurs. On n’ose pas et profite de l’occasion pour poser quelques questions d'autant que cet homme semble bien connaitre le sujet.

Cet homme nous apprend que les villageois vivent de la pêche, du riz et des algues, de la terre et de la mer. Comme pour le riz, leur salaire dépend du cours de l'algue qui varie du simple au double (1600 roupies le kilo d'algues séchées au 27 juillet 2012). Un camion passe deux fois par semaine au village, elles partent à Surabaya dans les usines de cosmétiques, d’herbicides ou alimentaires.

On tourne et laisse les algues séchées tranquillement, elles resteront 1 ou 2 jours selon l'ensoleillement.

LES TECHNIQUES ------

Plus tard, et c'est une simple coïncidence, on retrouvera les algues à Nusa Lembogan. Mais ici, on a aménagé un champ d'algues dans le lagon; divisé en petites parcelles rectangulaires. Cette version est plus technique qu’à Sumbawa ; c’est une agriculture familiale et artisanale qui se transmet de génération en génération.

LES JARDINS ------

Sur notre petite terrasse, je regarde des heures et des heures cette activité sur l’eau : les barques qui glissent sur l’eau en silence, les jeux de lumière spectaculaires sur le lagon, les gestes maîtrisés et lents des cultivateurs, le rythme dépendant des marées qui donne un rapport particulier avec la nature, les cérémonies religieuses en bord de mer (les prières au coucher du soleil, les lâchées d’oiseaux, les offrandes à la mer,…), le bruit du village et des temples au loin,… Comme à Bali, la culture est très présente et aussi très tolérante (syncrétisme hindou, bouddhiste, et même animiste).

J'aime particulièrement cet instant ou la marée se retire et les jardins subaquatiques apparaissent progressivement; ça ressemble à un tour de magie. Ce paysage dégage une telle sérénité que j’en arrive à une forme de méditation.