Entre tradition et création, les maisons fascinent par leurs symboles. Objet d'art populaire, elles reflètent la personnalité des habitants.
J'adore ces maisons. Et je ne pensais pas qu'en m'y intéressant, j'allais rencontrer facilement les habitants et vivre une forme d'immersion culturelle.
DE DENPASAR A DOMPU -----
Le bus est confortable. Le
paysage défile lentement. Je suis un peu endormie. L’idée de tourner la tête si
quelque chose m’interpelle est au-delà de mes forces. Les longs trajets dans
les transports en commun indonésiens exigent une patience d’ange alors je me mets
dans cet état second ; ce qui me donne le sentiment de voyager, juste en
regardant par la fenêtre, comme on le fait dans l’Orient express.
Depuis 2 jours, je regarde les
scènes de Bali et de Lombok, que je connais déjà. Ensuite, on arrivera à
Sumbawa. Bali a une végétation luxuriante offrant la palette complète des verts. A
Lombok, ça pousse moins facilement, on trouve les différentes tonalités de jaune. Encore plus à l’est, je me demande quelles seront les couleurs de Sumbawa. L’île ne fait pas l’objet d’un grand
intérêt dans les guides touristiques; les touristes la traversent pour aller à Flores (ils semblent la bouder). Etonnant, cela attise d’autant plus ma curiosité.
On arrive au petit embarcadère pour
rejoindre la côte ouest de Sumbawa. Il est animé par quelques échoppes mais on a à peine
le temps d’acheter une petite friandise qu’il faut déjà repartir ; le
ferry part dans quelques minutes. On se dépêche alors de remonter dans le bus
et part pour 1h30 de traversée.
C’EST SEC -----
Sur le pont du ferry, je vois au
loin les collines arides, c’est sec.
DES MAISONS SUR PILOTIS -----
Je reprends ma place dans le bus,
le dernier siège à gauche, côté fenêtre. On reprend la route en direction de Dompu
(dernière étape). Il reste 9 heures environ pour atteindre la partie est de
Sumbawa ; il règne un silence assourdissant dans le bus. Dès les premiers
instants sur l’île, je perds mon calme olympien. Le bus ne dépasse pas les 30 km/h. Heureusement, je repère des maisons sur
pilotis, je voudrais même m’arrêter quelques minutes (une envie de prendre une photo) au cas où je ne les
retrouve pas ailleurs. Mon voisin, installé depuis plus de 24 heures sur le
siège placé devant le mien, a du sentir
mon agitation ; il se tourne et m’adresse soudain la parole. Il est plus
jeune que je l’avais imaginé, porte un anorak noir dans une température
ambiante de 30° C et me pose les questions habituelles: d’où je viens, si j’ai
des enfants et si c’est la première fois que je voyage en Indonésie. Par
politesse, je lui demande où il va et reprends ma position
d’observatrice du paysage.
UN TON D’ETONNEMENT -----
Sur toute l’île, on trouve ces
habitations traditionnelles sur pilotis, leur caractère architectural forme une unité;
c’est presque une maison sur deux. Je les regarde avec un ton d’étonnement et d’admiration,
elle me donne le sentiment de voir du pays. Cet habitat populaire me permet de
retrouver mes reflexes de géographe, j’ai une envie frénétique de décortiquer
cet objet et de trouver des liens avec la géologie, le climat, la lumière,
l’histoire et les traditions.
DEMONTABLE -----
Ces maisons devaient
être à l’origine démontables et témoignent du passé nomade de la population. On
le repère surtout aux matériaux utilisés, elles ont une structure légère en
bois, des murs en tressages végétales ou en fines lamelles de bois et un toit
de chaume. A l’intérieur, les cloisons sont matérialisées par des tissus. Quelques
unes sont restées dans leur jus mais la plupart laisse apparaître clairement
des signes de sédentarisation et de sophistication : escalier en béton
(remplaçant l'échelle en bois), agrandissement des ouvertures, aménagement
sous la maison (l’usage initial est de mettre le bétail ou la récolte), toit en tuile ou en taule, …
CA PENCHE A DROITE -----
Elles ont une apparence fragile d’autant
plus visible que la population manque de moyen pour les entretenir. Le bus
s’arrête devant une maison bleue, elles penchent sévèrement du côté droit. Je
me demande combien de temps va t-elle encore tenir debout ?
LE REMEDE -----
Il y a un remède à la vieillesse: des peintures sur les façades. On voit une diversité de maisons polychromes (les voilà les couleurs de Sumbawa). Les habitants utilisent des couleurs vives et dessinent des motifs
géométriques; ce qui donne un éclat, une seconde jeunesse à ces vieilles baraques. Les décors
s’inscrivent dans un mouvement (alternance de tons chauds et de froids), ils
varient en fonction de la créativité et du gout des familles. Le résultat est souvent spectaculaire. Le langage des
couleurs est audacieux; il parle de l’évolution et de la richesse culturelle.
Je comprendrais plus tard que ce pep’s est à l’image de la joie de vivre indescriptible
des habitants.
LA PATINE -----
Si j’avais envie de monter
l’escalier en bois d’une maison traditionnelle, ce n’est pas par
curiosité mais parce qu’il était tel que j’avais envie de poser le pied dessus.
Beaucoup de gens l’avaient monté et descendu pendant si longtemps que les
marches, usées au milieu, selon la forme du pied, étaient lisses et extrêmement
brillantes.
En même temps, je mets de côté cette idée. ça me rappelle une vieille expérience en Tunisie où je fus invitée à rentrer dans une habitation troglodytes avec une dizaine d’autres touristes.
Je vois encore ces habitants, complètement figés, regarder cette invasion avant
de pouvoir décrocher un sourire de courtoisie. Et je me souviens aussi de la gène
que j’éprouvais ; une impression d’étouffement et d’effraction d’un espace
privé. Je ne veux surtout pas revivre cette situation.
UNE SERIE DE PHOTOGRAPHIES -----
J’entreprends de faire dans les
prochains jours une série de photographies des façades ; je vais
m’arranger pour le faire de manière discrète et rester éloigner des intérieurs.
A HU’U -----
On prend la moto pour aller au
village voisin de Hu’u dans l’idée de prendre quelques clichés. Ici, les maisons sont
rose bonbon, verte fluo ou encore bleue turquoise (c’est parfait). Les enfants nous
repèrent immédiatement et arrivent les uns après les autres, plein de curiosité. Les habitants guettent aux
fenêtres. Chacun s’approche à son rythme. Progressivement, on forme un petit
groupe pour discuter (en indonésien). Je sens tout de suite qu’il n’y a pas
d’habitude touristique, qu’il y a une spontannéité dans l’échange et surtout
une joie de vivre intimidante. On fait connaissance, arrive à placer en fin de
conversation que j’aime les maisons traditionnelles mais il faudra revenir pour
prendre des photo ; ça parait décaler de le faire maintenant.
Finalement, on vient au village
tous les jours. On se sent bien dans cette campagne, le courant passe avec les habitants, on a vite nos petites habitudes. L’atmosphère est à la fois calme et pétillante. On ne vient pas
seulement pour les maisons, on vient aussi discuter (raconter des histoires, écouter des petites confidences (sur le ramadan, le travail, la famille, la polygamie ...) et
jouer ( Domino ou échecs) à l'ombre d'un ficus. Le plus drôle, c'est de porter la parure du vainqueur (un galet noué et entourée derrière
l’oreille avec une ficelle). On nous parle des maisons; on apprendra qu'elles ont plus de cent
ans (un jour, on nous amène voir la plus ancienne du village, habitée par un
vieux monsieur; il sera étonné par l’intérêt que l’on y porte),
qu’elles se transmettent de génération en génération (le père de famille la
cède à l’un de ses fils, souvent le premier), qu’il y a souvent plusieurs
générations sous le même toit (grand parents/ parents/ enfants/ petits
enfants), qu’elles participent à la vie communautaire du village (un lieu de
vie et parfois lieu social).
Ici, les gens aiment être pris en
photo, c'est un amusement. En sortant l'appareil, je les vois à l'affût. En dirigeant l’objectif devant une maison ou ailleurs, les enfants (pas seulement) se précipitent et viennent poser ensemble. Je vais photographier les maisons avec les
habitants (ici, c'est une évidence et pas question d’aller ailleurs, c’est ici que ça se passe). J’essaie
toutefois d’instaurer une petite règle, de faire poser devant la façade ceux qui habitent
la maison.Au fur et à mesure, ils acceptent cette idée et on vient me chercher pour faire la photo.
IBOU ALAMBA -----
Je dois vous avouer quelque
chose. Je suis finalement entrée dans une habitation parce que Ibou Alamda (une grande dame) nous
a invité à prendre un verre. Ibou est une belle rencontre. Je la vois encore
nous apporter des bananes le dernier jour, juste avant de prendre le bus du
retour . A ce propos, comment a t-elle su que l’on
attendait le bus ici et maintenant ?
ROMAN PHOTO -----
Cette
série photographique a un style documentaire, proche du roman photo. Au-delà du
souvenir autobiographique, il y a une intention de montrer cet art populaire,
ces œuvres et ces artistes.
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